Le traitement des patients Covid-19 présentant une insuffisance respiratoire du fait d’une pneumonie repose sur une assistance respiratoire dans environ 5 % des cas. Dans les formes graves de la maladie, l’atteinte respiratoire peut en effet entraîner un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), pathologie qui est à l’origine de 30%, voire 50 %, de mortalité chez les patients sous respirateur artificiel (ventilation invasive).
Le diagnostic d’un SDRA repose classiquement sur des paramètres bien définis. Les médecins réanimateurs parlent des « critères de Berlin », ville dans laquelle des experts s’étaient réunis en 2012 sous l’égide de l’European Society of Intensive Care Medicine (ESICM) pour définir les paramètres cliniques, ventilatoires, gazométriques (analyse des gaz du sang) et radiologiques permettant d’établir le diagnostic de ce grave syndrome pulmonaire et d’adapter au mieux la prise en charge ventilatoire.
Surprenante tolérance à de faibles taux d’oxygène dans le sang
Il est rapidement apparu que le syndrome de détresse respiratoire aiguë associé au Covid-19 ne ressemble pas à la majorité des SDRA classiques. Alors que dans la moitié des cas de SDRA le poumon perd une partie de ses propriétés élastiques, le poumon reste distensible au stade initial de la pneumonie Covid-19. Il conserve en effet sa capacité à normalement faire varier son volume en fonction de la variation de la pression intrapulmonaire. Les spécialistes parlent de « compliance » préservée. En d’autres termes, le poumon conserve son élasticité. Conséquence : le poumon reste aéré : la quantité d’air intrapulmonaire est normale ou avoisine la valeur normale.
À cette caractéristique non habituellement observée dans la plupart des SDRA, s’ajoute un autre paramètre, clinique cette fois, en rapport avec ce que les spécialistes appellent l’hypoxémie, terme utilisé pour désigner la diminution de la quantité d’oxygène dans le sang. « On constate que de nombreux patients Covid-19 atteints de pneumonie tolèrent étonnamment bien le faible degré d’oxygénation du sang associé à l’atteinte pulmonaire. Cette extrême tolérance à l’hypoxie chez de nombreux patients est une vraie particularité de la pneumonie Covid-19 », déclare Thomas Gille, pneumologue à l’hôpital Avicenne (Bobigny, Seine-Saint-Denis) et chercheur à l’unité Inserm U1272 « Hypoxie et Poumon » (Université Paris 13).
De fait, la pneumonie Covid-19 peut se présenter cliniquement de façon très hétérogène. Pour un même degré d’hypoxémie, certains patients Covid-19 présentent une gêne respiratoire plus ou moins importante, un rythme respiratoire plus ou moins rapide. Ainsi, des patients Covid-19 ayant un très faible degré d’oxygénation sanguine (hypoxémie profonde) peuvent présenter des symptômes très différents. Certains peuvent avoir une respiration normale. Leur hypoxémie est dite « silencieuse », alors que d’autres présentent une gêne respiratoire prononcée. De même, certains patients sont améliorés par la position couchée, d’autres non. Certains réagissent positivement à l’inhalation de monoxyde d’azote [1], gaz entraînant une dilatation des vaisseaux, d’autres non. Enfin, des patients ont une diminution importante de la quantité de dioxyde de carbone (CO2) dans le sang artériel (patients « hypocapniques ») alors que d’autres présentent un taux de dioxyde de carbone normal ou anormalement élevé (patients normo ou « hypercapniques »).
« De nombreux patients Covid-19, pourtant très hypoxémiques, s’expriment normalement, regardent tranquillement la télévision ou encore jouent sur leur smartphone, sans éprouver de difficulté particulière à respirer ou sans présenter une fréquence respiratoire élevée », fait remarquer Damien Barraud, médecin réanimateur au CHR de Metz-Thionville (Grand Est). Pourtant, au vu de leur faible taux d’oxygène dans le sang, les médecins s’attendraient à ce qu’ils aillent mal, autrement dit à ce qu’ils présentent des signes cliniques évocateurs d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA). « Cela montre qu’il ne faut pas uniquement baser son attitude sur les résultats des gaz du sang. C’est finalement l’état clinique du patient qui compte », souligne Damien Barraud.
Il est probable que cette diversité de présentation clinique pulmonaire chez des patients Covid-19 hospitalisés en urgence tient à l’interaction de nombreux facteurs : la sévérité de l’infection virale, la réponse immunitaire, la réserve physiologique (autrement dit les capacités d’adaptation à l’effort des poumons du patient), la présence de pathologies préexistantes (comorbidités), le délai entre le début des symptômes et l’admission à l’hôpital.
Deux formes cliniques : L et H
Récemment, une équipe allemande a décrit, de façon schématique, deux présentations cliniques différentes de l’atteinte respiratoire associée à l’infection par le SARS-CoV-2. Luciano Gattinoni et ses collègues du département d’anesthésiologie, soins intensifs et médecine d’urgence du centre médical universitaire de Göttingen ont décrit deux présentations cliniques, ou « phénotypes », de l’atteinte respiratoire : le type L (pour Low, faible) et le type H (pour High, élevé). La forme clinique L peut s’aggraver et conduire à la forme H.
Le concept de pneumonie de phénotype de type H et de type L a initialement été présenté le 2 avril dernier lors d’un séminaire sur internet (webinar) organisé par l’ESICM, la Société européenne de réanimation, puis le 14 avril dans un article publié dans la revue Intensive Care Medicine.